L'image ci-dessous représente sur un plan de 1848 la vue de l'ensemble des temples et sanctuaires d'Asakusa.
Noter que dans les anciens plans japonais, les légendes étaient écrites dans dans des directions différentes (de haut en bas, à l'envers, de gauche à droite, de droite à gauche) dans une logique difficile à décrypter.
On voit bien que les bâtiments des deux religions sont totalement imbriqués, sachant que les plus petits bâtiments sont également soit des temples soit des sanctuaires.
Revenons aux idéogrammes des deux entités principales :
Senso-ji : 浅草寺- Temple de Senso
Asakusa-Jinja :浅草神社- Sanctuaire d'Asakusa
On constate que les deux premiers idéogrammes sont identiques.
Dans le cas du temple bouddhiste, ils se lisent "Senso", dans le cas du sanctuaire shinto, ils se lisent "Asakusa".
Ceci illustre une spécificité unique de la langue japonaise, qui n'existe dans aucune autre langue (y compris le chinois), et qui s'explique comme suit :
Les Japonais n'avaient pas de système "local" d'écriture.
A partir du Vème siècle les échanges avec la Chine, en particulier via des missionnaires bouddhistes se multiplieront, et les Japonais découvriront l'existence d'un système "avancé" d'écriture. Ils enverront des missions diplomatiques et des missions de lettrés en Chine pour étudier à la fois la structure sociale, le bouddhisme et l'écriture. Ce processus durera 300 ans et progressivement les Japonais développeront un système d'écriture basé sur les idéogrammes chinois.
Le premier écrit "japonais" utilisant le système chinois date de 712 et consiste en un recueil historique.
Du fait de la richesse conceptuelle de la langue chinoise (des concepts existant en Chine mais pas au Japon) de nombreux termes vont être importés en conservant la prononciation chinoise.
Mais simultanément, des notions existaient déjà au Japon (en particulier tout ce qui relève de la vie courante, par exemple maison, manger...) avec des prononciations japonaises, que les lettrés japonais vont progressivement "promouvoir". Mais dans la pratique les deux prononciations (on dit lecture) vont coexister dans beaucoup de cas.
Le système résultant :
Il en résulte un système complexe dans lequel chaque idéogramme possède une lecture "d'origine chinoise", et une lecture "d'origine japonaise". En effet, un idéogramme décrit un concept (mais pas un son), et sa prononciation est totalement indépendante de son écriture.
C'est ce que l'on retrouve pour nos idéogrammes 浅草 qui signifient herbe rase et qui se lisent Sen-so dans la lecture chinoise, et Asa-kusa dans la lecture japonaise.
Certains linguistes font le parallèle avec l'intégration du latin dans les langues celtes ou anglo-saxonnes.
La différence reste néanmoins que les deux prononciations subsistent à travers les âges, et que les Japonais ont également construit deux syllabaires purement "locaux", dont l'un (Hiragana) sert essentiellement de terminaison grammaticale qui se rajoutent aux idéogrammes quand l'autre (Katakana) sert à transcrire les mots étrangers (non chinois).
En synthèse, en intégrant les idéogrammes chinois, les Japonais ont bâti un système d'écriture avec des idéogrammes (avec 2 lectures au moins) et deux syllabaires.
On aboutit donc à un système complexe qui génère également une grande richesse dans les possibilités d'expression qui est emblématique du "génie" japonais capable de s'approprier un input étranger et de le faire évoluer pour en faire un système original et unique.
Les évolutions de ces 150 dernières années
A partir du milieu du XIXème siècle avec le développement des influences étrangères et l'enrichissement de la population, des débats sur la complexité du système virent le jour, visant soit à simplifier/réduire le nombre d'idéogrammes soit pour les propositions les plus en rupture à les supprimer pour adopter un mode d'écriture alphabet ou hiragana.
En 1900, des règles de simplification de l'écriture des idéogrammes furent instaurées.
En 1946, fut établie une liste de 1850 idéogrammes que chaque élève doit connaître à la fin de ses études secondaires. De manière formelle, les programmes scolaires définissent quels idéogrammes doivent être appris à chaque année du primaire et du secondaire. La liste des 1850 idéogrammes a évolué pour atteindre aujourd'hui 2146. Cette réforme a permis de quasiment supprimer l'analphabétisme. Elle s'est faite sous la pression des autorités d'occupation qui avaient poussé (sans succès) à l'adoption de l'alphabet latin. Grâce à cette pression les plus progressistes des Japonais l'ont emporté sur les plus conservateurs.
A titre d'exemple, on a ci-dessous le nombre d'idéogrammes que les jeunes Japonais apprennent chaque année à l'école primaire :
et n'oubliez pas que pour chaque idéogramme, il faut mémoriser une lecture japonaise et une lecture chinoise...
Vous constaterez également que derrière un formalisme très strict, les pratiques éducatives prennent en compte le caractère vivant de la langue : les règles évoluent de manière pragmatique tous les 10 à 15 ans.
C'est une autre caractéristique du "génie japonais".
Une illustration de la "magie" des idéogrammes pour rester dans les influences chinoises sur le Japon
Ci-dessous, sont écrits trois noms de villes...
北京 - 南京 - 東京
Pour la première ville, le premier idéogramme signifie nord, et le second capitale.
Pour la deuxième ville , le premier idéogramme signifie sud, et le second capitale.
Pour la troisième ville, le premier idéogramme signifie est, et le second capitale.
Beijin, Nanjin (Nankin), Tokyo...
Bonne semaine
La semaine prochaine nous reviendrons à Tokyo...
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